La première journée est toujours la pire. [Ariel & Vaughn]

Le cœur battant et la nausée au bout des lèvres, Ariel se leva avec l’impression qu’elle allait vivre la pire journée de toute son existence. C’était bien entendu quelque chose de totalement surfait puisqu’en réalité elle avait déjà vécu bien pire que la journée qui s’annonçait à elle et pourtant… Elle sentait l’angoisse monter. Ses mains étaient moites et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle n’eut pas l’occasion de déjeuner, car il lui semblait qu’elle aurait été capable de régurgiter tout sur son premier patient de la journée. Ariel était pourtant en sixième année de médecine et avait déjà fait plusieurs stages dans cet hôpital, cependant, comme à chaque fois, elle ne pouvait s’empêcher d’angoisser lors de son premier jour. Bientôt, elle quitterait l’université et les cours pour se spécialiser. Son rêve de médecin légiste lui tendait peu à peu les bras et elle n’avait plus qu’une hâte désormais : y parvenir. Alors aujourd’hui, il fallait que la journée se passe bien. Et c’était probablement cela qui rendait Ariel aussi anxieuse.

En avalant sa salive elle noua ses cheveux noirs en une queue de cheval haute. Sans maquillage, sans artifice, elle avait décidé d’attendre la fin de ses études pour changer d’apparence et ressembler enfin à ce qu’elle voudrait. Elle enfila ensuite sa tenue et sa blouse d’’étudiante en médecine, puis elle alla sa présenter à son référent. Avec elle, cinq autres étudiants qu’elle connaissait plus ou moins. Ariel décida pourtant de ne pas entrer dans des grandes conversations de copinage avec les autres. Elle n’aimait pas franchement les faux-semblant, les rassemblements et les choses trop conviviales, ce qui l’intéressait, elle, c’était de bien faire son job puis de rentrer chez elle pour étudier.

Alors, quand finalement l’heure du déjeuner arriva, elle ne pu que maudire intérieurement l’univers pour l’idée qu’avait eu les gens dans la salle commune. Un repas commun. Tout ce qu’elle pouvait détester plus que tout. Elle grimaça légèrement et décida de se terrer dans un coin, dans l’espoir que l’on oublie sa présence. « Je te rassure elles mordent pas, enfin pas trop fort. moi c'est Vaughn, je suis infirmier intérimaire. Je suis de passage dans le service. Et c'est quoi ton petit nom à toi ? » . Elle se retient de lever les yeux pour maudire davantage l’univers et tourne la tête vers l’américain. Typiquement le genre de type qui n’avait pas pour habitude de la remarquer sauf pour lui faire des blagues douteuses. Même si en soit, tous les américains faisaient des blagues douteuses… En plus, il avait un nom plus qu’étrange qu’elle n’était pas certaine de réussir à prononcer correctement. Il était d’ailleurs même fort probable qu’elle n’y parvienne jamais. Elle se racla doucement la gorge et inclina la tête pour le saluer poliment. « Ariel. Ariel Park. Je suis en sixième année. »  Pas la peine d’en dire davantage, après tout, il se rendrait compte très vite qu’il y avait des filles cent fois plus intéressantes qu’elle. Tout le monde s’en rendait très vite compte après tout.

Il finit par le poser, son fichu gobelet. Elle, elle reste silencieuse, observant distraitement les autre interagir comme s’ils passaient tous un excellent moment. C’était peut-être le cas, peut-être avaient-ils réussi à se persuader qu’ils aimaient tout bonnement ce genre de petites réunions et rencontres entre amis. Quelle hypocrisie générale. Ariel se mordit doucement la lèvre en songeant au fait qu’elle aurait peut-être dû se forcer à agir comme les autres. Après tout, elle avait déjà vu faire des centaines d’acteurs et d’actrices dans des centaines de programmes télévisés. La pratique n’aurait pas été très complexe dans un sens. Et pourtant… Aurait-elle seulement été capable d’y parvenir ? Sincèrement ? « C'est jamais facile le premier jour pas vrai ? Tous ces noms à retenir, tous ses visages et les habitudes de chacun. M'enfin il y a pire comme situation je pense. »  Son regard bifurqua légèrement pour toiser de nouveau l’américain qui était venu la saluer avec assurance. Certes, en un sens il était vrai qu’il pouvait exister pire. Mais pas pour Ariel. Elle faisait face à son pire cauchemar et prenait de plein fouet les rires et les sourires de tous ces gens. Qu’elle ne rêverait plus après son stage, c’était tout à fait certain.

Elle avala sa salive sans rien répondre. Il n’y avait rien à dire à tout ça. L’autre l’aurait prise pour une cinglée et se serait foutu de sa gueule puissance dix mille si elle avait osé lui faire la moindre confidence. Au lieu de cela, elle resserra les bras autour de sa poitrine. Ariel commençait à avoir mal au ventre dans une pièce aussi remplie et elle sentait une boule se former au creux de son estomac. Le stress venait. « Tu veux que je te fasse faire le tour du proprio où tu préfères faire connaissance avec le reste de l'équipe ? »  Question stupide. Alors soit il était débile profond et dans ce cas là Ariel était curieuse de savoir comment il avait fait pour réussir à devenir infirmier, soit il avait parfaitement conscience de son malaise et lui proposait poliment une porte de sortie. Parce que l’hôpital elle le connaissait déjà plutôt bien, avec ses stages précédents. Et qu’il fallait être dégénéré ou consanguin pour ne pas savoir qu’un sixième année faisait quasiment partie du décor. La jeune femme préféra pourtant lui laisser le bénéfice du doute et opta pour la seconde option. « Je veux bien visiter un peu. » Même si elle n’en avait pas vraiment besoin. Et sans vraiment attendre ou demander son reste, elle décida de le suivre dans les couloirs. Le suivre dans une intervention serait probablement plus intéressant que de rester devant les poules du poulailler. Elle marcha un peu plus vite pour le rattraper et, décroisant ses bras, elle jugea qu’en plus petit comité, elle pouvait faire un léger effort : « Tu ne m’as pas dit, tu es dans le service depuis longtemps ? ». C’était pas terrible, elle en avait conscience, mais c’était mieux que rien, dans un sens.

« Je suis pas chiant, je te demande qu'une chose pour qu'on reste en bon terme. C'est des humains sur qui ont travail, pas des numéros de chambres ou des maladies. Si tu me parles de la dame de la 450 je te demanderais qui c'est. Et bien sûr le respect du patient, je suis ouvert aux blagues entre nous, pas un souci, mais devant le patient c'est le respect d'abord même si c'est un con. » Les mains dans les poches, l’air concentré, le regard d’Ariel erra dans les couloirs un instant. En face d’elle, l’infirmier semblait l’affubler d’une sorte de remontrance que font les parents à leurs enfants. Ariel n’avait jamais trop aimé être prise de haut -comme n’importe quel être humain en fin de compte- et le fait que le jeune homme s’adresse à elle sur ce ton la fit légèrement tiquer. Elle se pinça les lèvres un court instant, se contentant de l’observer avec une certaine curiosité. Elle était encore interne et ne devait pas faire la moindre erreur de parcourt, alors lui coller un poing dans la figure risquait de faire un peu tâche sur son dossier d’admission lorsque, plus tard, elle tenterait de rejoindre l’équipe de l’hôpital. Alors, pour l’instant, elle devait se contenter de prendre des réflexions et des remarques dans les dents sans broncher. Ou tout du moins sans TROP broncher. Parce qu’elle pouvait toujours signifier son mécontentement tant qu’elle restait polie, non ? « Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais ça ne me plait pas vraiment d’être rappelée de la sorte… J’ai conscience que je travaille avec des êtres humains et même si mon dada c’est les morts, ça ne m’empêche pas de faire preuve d’un peu de bon sens. » Elle sourit dans un léger hochement de la tête. Satisfaite d’avoir pu faire comprendre son mécontentement sans s’être trop énervée et surtout en étant restée des plus polies, elle décida d’observer le reste de la pièce avec attention. Ella avait remarqué bien des fois que toutes les parties de l’hôpital se ressemblaient d’un point de vue architectural mais que chaque service avait sa propre organisation. Généralement, elle savait très bien s’y adapter, il ne lui fallait qu’un ou deux jours pour comprendre comment les choses fonctionnaient et après ça, elle suivait un peu le mouvement. Cependant elle devait bien admettre qu’elle n’avait pas suivit le moindre infirmier depuis son stage de premier année, car désormais, c’était à la suite de chirurgiens ou de docteurs qu’elle avançait. Cependant, un petit cas pratique n’avait rien de désagréable. En fait, elle considérait même cela comme un bon moyen de revenir aux sources, une sorte d’entrainement ou de cas pratique pour lui permettre de ne pas perdre la main sur des patients aux cas ‘’facilement identifiable’’.

Son attention se porta de nouveau sur l’infirmier qui achevait de se laver les mains. « Madame Sylvia est ici depuis longtemps ? Son état s’est aggravé depuis ces derniers jours ? Quel est le pronostique des médecins sur son état de santé ? » Elle n’était pas du genre à trop se fier aux pronostiques car elle avait déjà assisté à des petits miracles, cependant, elle voulait bien faire un effort et tenter de s’intéresser au dossier, même si elle était davantage emballée par les gens qui -hélas- n’avaient pas survécu. Et puis l’infirmier avait l’air de bien l’aimer cette patiente, alors autant le faire parler de son cas, comme ça au moins, il arrêterait de la prendre de haut à tout bout de champs.